À rebours with Peter Halley, galerie Thaddaeus Ropac

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À rebours with Peter Halley, galerie Thaddaeus Ropac

2007

À rebours est une collaboration entre Peter Halley et matali crasset à la galerie Thaddaeus Ropac à Paris.

Jeff Rian : D’où est venue l’idée de cette exposition ?

Peter Halley : Je trouve que tous les éléments qui sous-tendent le travail de matali – les proportions, l’utilisation des matériaux, l’humour – ont à voir avec l’art. Et une interview d’elle que nous avons publiée dans Index magazine [juin-juillet 2005] m’a permis d’avoir une bonne vue d’ensemble de ce qu’elle fait. Nous avons tous été très enthousiasmés par son travail.

JR : Peter, est-ce la première fois que vous collaborez avec un designer ?

PH : En 1995, à la Jay Gorney Modern Art Gallery, j’ai montré mes peintures avec des céramiques d’Ettore Sottsass.

JR : Comment va se présenter l’exposition? Qui va faire quoi et à quel moment?

PH : Priorité sera donnée aux dessins muraux.

matali crasset : L’idée était de créer une connexion entre nos travaux. Peter a pensé que je devrais réaliser des dessins muraux à l’étage afin qu’ils soient dans le même espace que ses peintures, tandis que lui ferait quelque chose sur le mur de la salle du bas, autour d’une composition de moi.

PH : J’avais déjà remarqué la présence d’arbres dans les travaux de matali. Mais ceux-là constituent réellement un treillis de lignes géométriques et de formes abstraites qui va suggérer une échelle et donner de la lumière aux murs.

MC : Pour moi, le plus important était de trouver une manière de travailler ensemble. Peter m’a demandé de composer un dessin mural pour ses peintures, quelque chose qui soit en rapport avec la nature. Ce que je vais faire ici avec les dessins muraux a plus à voir avec les vibrations des arbres. Les objets placés dans la salle du bas vont diffuser ces vibrations. Actuellement j’opère des tests préparatoires en traçant des lignes à la craie comme les maçons. Peter pense que l’arrière-plan serait mieux en gris pâle. Les lignes de craie sont très stabiles et offrent une belle qualité de flou.

JR : Dans l’interview donnée dans Index, matali, vous disiez que la finalité et le contexte déterminaient l’agencement et les matériaux, étant entendu que la fonction d’un objet est intégrée dans sa forme même. Qu’en est-il pour cette exposition ?

mc : Comment faire les dessins ? Décider de leur emplacement ? Au début, tout cela n’était pas clair… Je me suis également interrogée sur le statut de nos travaux respectifs. Les peintures, nous les connaissons. Nous savons ce qu’elles sont fondamentalement. Pour ma part, j’avais envie de travailler sur un mode plus éphémère. Mon travail est donc destiné à l’exposition tandis que celui de Peter est appelé à durer plus longtemps.

JR : En France, le mot « statut » revêt une grande importance : quel est, par exemple, votre statut social ? Quel est le statut d’une œuvre d’art ? Quel est le statut de votre look ?

mc : [rire] Je veux dépouiller de son statut un objet donné afin de proposer autre chose. En Europe, il faut compter avec les codes en vigueur. Entrez dans une pièce et le canapé vous fournira toutes les informations nécessaires sur son propriétaire. Est-il en cuir ? Y en a-t-il plusieurs ? Tous ces codes sont limpides, mais ils posent des barrières – que j’essaie d’abattre.

JR : Quels sont les objets situés dans la salle du bas ? Personnellement, j’y vois des sculptures.

mc : C’est du mobilier, des souches-fauteuils et un arbre-lampe.

JR : L’art abstrait – peintures, sculptures – est fait pour la méditation, à la façon d’un dispositif permettant de contempler l’organisation du processus mental. Le modèle de représentation de Peter est basé sur ce qu’il nomme des « cellules » et des « prisons », lesquelles ont partie liée avec l’architecture du contrôle. Mais les couleurs les rendent sensuelles, leur confèrent un caractère plus provocant. Les pièces de matali semblent privilégier un aspect mental par rapport à leur fonction d’usage : on doit les regarder et leur consacrer de la pensée avant de les utiliser. Où se situe la différence ?

mc : Mon travail garde un caractère fonctionnel. Les peintures de Peter s’aventurent plus loin. Elles se rapportent davantage à de l’architecture mentale. Je désire apporter plus de liberté au cœur des objets et dans les espaces, et aussi créer de la fluidité car les lieux peuvent changer d’un moment à l’autre, selon ce qu’on y fait : travailler, dormir...

PH : Le travail de matali me fait songer à l’art avant-gardiste des années 60. N’avez-vous pas réalisé des objets portatifs amovibles, voire nomades ?

mc : Mes explorations ont pour but de trouver différentes typologies et différentes manières de les combiner. Je parle ici de formes, non pas du symbolisme des formes. Il s’agit d’inventer d’autres façons de faire des objets, comme par exemple des chaises qui doivent généralement avoir une hauteur prescrite, etc. Mes objets sont des formes simples ou plutôt des modules que je combine pour que les gens puissent penser différemment leur vie quotidienne, pour favoriser une certaine flexibilité. En un sens, c’est semblable à la manière dont Peter travaille : des possibilités modulaires dans une infinité de combinaisons.

PH : « Module » est le mot juste.

mc : Cependant, comme je le disais, le travail de Peter est plus mental tandis que le mien est plus fonctionnel.

JR : matali, vous avez qualifié les couleurs de Peter de radioactives, comme s’il s’agissait d’objets émettant de la lumière. Peter, pouvez-vous décrire vos couleurs, ce qu’elles constituent, d’où elles viennent ?

PH : Si je le savais !

mc : Je pense qu’aucun de nous deux n’a peur de la couleur. Pour ma part, je considère la couleur comme une langue commune. Je m’évertue à briser les codes existants de couleur. C’est par ce biais que les gens peuvent comprendre ce que je fais. Les couleurs me permettent de conférer à un espace donné une logique différente, non seulement pour les yeux mais aussi dans le domaine des émotions. Je pense ici à la façon dont une émotion peut être générée par les combinaisons de couleurs et comment celles-ci vont s’imprimer dans notre mémoire... Certaines couleurs semblent particulièrement spirituelles, d’autres ont un aspect plus ludique.

PH : J’entends souvent des gens dire que la couleur leur fait peur. Pour quelle raison, selon vous ?

mc : Quand on est enfant, on aime la couleur. Puis, petit à petit, les professionnels prennent le dessus. La couleur fait l’objet d’une présélection dans les différentes industries, dans le domaine des textiles, des peintures, etc. Les gens se mettent à avoir peur de la couleur parce qu’ils n’en font plus l’expérience. Ils n’essaient même pas, ils se conforment à ce que les professionnels de la déco décident à leur place.

PH : Sottsass a dit un jour que quand il agençait un bureau ou un local quelconque, il se référait à des palettes de couleurs déjà disponibles. Il se servait des couleurs trouvées comme pour un collage. En va-t-il de même pour vous ?

mc : Oui. Les designers recourent à des matériaux préfabriqués dont les couleurs sont choisies par de soi-disant experts. À moi de connaître toutes les palettes et de les combiner.

PH : Il y a vingt ans, ça m’intéressait de relier la couleur à une lumière technologique et non pas naturelle. Je trouvais que les couleurs de Rothko étaient belles, mais leur lumière évoquait la nature. Je me suis intéressé aux sortes de lumières qu’on trouve dans les galeries marchandes pour en arriver à celles des ordinateurs. J’utilisais des couleurs fluorescentes. Mais j’ai aussi tendance à penser de façon expressive avec la couleur. Sans doute suis-je fait ainsi. Mais ce que dit matali de la couleur en tant que langue commune est intéressant. J’ai exposé dans les pays les plus divers et les peintures y sont lues de manière similaire.

JR : Les Européens ne considèrent-ils pas vos peintures comme américaines ?

PH : Je le crois. Mais pour en revenir à ce que matali a dit des gens ayant peur de la couleur, j’estime qu’on pourrait aussi y voir une hantise de la sensualité, particulièrement fréquente. Et je parle d’expérience, dans les pays protestants ou puritains. Les Européens du Nord ne manquent jamais de me demander s’il m’arrive de peindre en gris.

JR : J’ai le sentiment que matali et vous, Peter, résidez sur la même planète, esthétiquement parlant.

PH : matali met l’accent sur le jeu par son utilisation d’ensembles simples, volumes élémentaires et couleurs.

mc : Cependant, dans un autre contexte, je n’aurais jamais fait le travail que j’ai effectué avec Peter.

 

Traduit de l’anglais par Daniel Bismuth.

 

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Crédits

  • Patrick Gries
  • Charles Duprat, courtesy galerie Thaddaeus Ropac