Quand Jim monte à Paris, Domeau & Pérès

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Quand Jim monte à Paris, Domeau & Pérès

1998

L’idée de départ du Jim, c’est l’accueil, l'hospitalité.

« Jim appartient aux “amis de matali”, une gamme non pas d’objets-amis, mais bien les objets de ou pour mes amis.

Cette recherche a été développée en parallèle à mon activité au sein du Tim Thom, le centre de design intégré de Thomson multimédia. Passionnée par l’électronique, j’étais assez réticente à l’époque à l’idée de créer du mobilier.

La forme n’est pas ma préoccupation première, mes meubles sont basés sur de nouvelles typologies non des doubles fonctionnalités ; à savoir, des attitudes nouvelles d’utilisation et d’usage du mobilier. Alors que notre “garde-robe” a changé, nos meubles sont encore pour beaucoup ceux de nos grands-parents. Les questions qui m’animent sont alors : comment repenser l’habitat ? Injecter dans notre environnement de l’hospitalité, de la générosité ? Comment penser les petits espaces… ?

J’ai choisi comme postulat de prendre le contre-pied de ma pratique “quotidienne” qui était de développer des produits pour des global markets ; j’ai donc décidé, à l’inverse, de créer une gamme d’objets qui prenaient pour partie fondatrice les spécificités de mes amis réels ou imaginés.

Il s’agissait aussi de proposer une alternative au clic-clac. Le canapé convertible est pour moi une idée impossible, car, le plus souvent, il manque cruellement de générosité. Je souhaitais ainsi offrir à Jim un objet pour lui seul et non pas transformer un objet juste le temps de son passage à Paris.

Jim est une réponse à l’exiguïté des appartements parisiens ; accueillir un ami dans les meilleures conditions lorsqu’on ne possède pas de chambre d’amis.

Le premier dessin-concept de “Quand Jim monte à Paris” date de 1995.
La rencontre avec Domeau & Pérès s’est faite à travers la reproduction d’un “sketch” de Jim publié dans la revue Intramuros. Nous nous sommes croisés à plusieurs reprises et à l’occasion de l’exposition “Design français : l’art du mobilier 1986/1996” à Boulogne-Billancourt, nous avons pris rendez-vous. Jim est notre premier projet.

Ce qui m’a excitée avec Domeau & Pérès, c’est leur caractère presque vierge dans l’univers de l’édition, l’idée qu’il fallait ensemble et par les projets développer une aventure ; et puis cette curiosité première, que je leur reconnais. Jim est un projet que nous avons vraiment porté ensemble et qui s’est développé avec leur savoir-faire spécifique. Il fallait dépasser le caractère artisanal d’une telle production, car l’idée de l’hospitalité posait aussi la nécessité d’un prix accessible.

Nous avons présenté Jim au salon du meuble de Milan, dans le cadre du premier salon satellite, en avril 1998 ; j’ai accompagné Jim avec Bruno et Philippe.

Je suis restée pendant toute la semaine à Milan. C’était très euphorisant. Je voyais des gens passer, revenir, arriver, réfléchir puis sourire en signe de compréhension et d’adhésion. L’ambiance était très chaleureuse. Jim fut publié largement dans la presse.

Le public comprenait vraiment l’idée de Jim comme d’un espace qu’affirmaient la lampe et le réveil, et non comme un banal lit d’appoint. Et ce terme, auquel je tiens beaucoup, apparaissait comme une évidence : la colonne d’hospitalité.

Dès la présentation du prototype, nous avons recueilli assez de commandes d’Italie, d’Allemagne, du Portugal et des États-Unis pour lancer une première production.

La première version était réalisée en carton alvéolaire, matériau très résistant et léger dérivé de l’industrie aéronautique, recouvert d’une toile vinylique.

Des demandes d’expositions suivirent : une exposition, ma première, eut lieu en juin 1998 à la boutique d’Inez Franksen – ardent défenseur de Dieter Rahms – Modus, à Berlin ; ce fut l’occasion de rencontrer Stefan Wewerka, revoir Oliver Vogt & Hermann Weizenegger et Hans de passage à Berlin. Puis à Paris, avec la complicité de Milan et Sarah – fidèle –  chez Colette… nous avons présenté une deuxième version avec de nouveaux revêtements extérieurs et une gamme de couleurs plus vives. Il y avait de l’orgeat au vernissage, ma boisson préférée. Ce furent autant mes premiers jalons que ceux de Domeau & Pérès.

En 2000, nous avons introduit l’aiguilleté de feutre, rendant l’objet plus léger donc plus facile à déplacer.

Jim est aujourd’hui quasiment un classique du catalogue Domeau & Pérès, son best-seller, mais nous travaillons toujours sur de nouveaux développements. C’est réellement un projet/produit vivant.

Ce qui m’encourage également c’est que Jim ouvre des usages et des pratiques différentes, et que c’est l’utilisateur qui se l’approprie. Jim crée des relations affectives très fortes…

Certains se servent du sommier comme d’un paravent, comme lit d’appoint, mais aussi comme tapis de jeux pour les enfants, pour bien sûr des particuliers, mais aussi pour les lieux publics – des hôtels. Je me rappelle l’enthousiasme d’un frère dominicain qui aurait bien vu des Jim dans toutes les cellules pour libérer la pensée… Une cliente belge a acheté 5 Jim pour transformer sa maison de campagne en un dortoir géant et inviter tous ses amis… Je connais même quelqu’un qui a réalisé un espace dans son nouvel appartement autour de lui… J’aime toutes les vies de Jim et j’aime qu’elle m’échappe.”

matali crasset

 

Quand Jim monte à Paris

"Il est tard. Reste donc dormir
– Non, c’est trop compliqué."

Sans que l’on en ait vraiment conscience, “rester dormir” est une pratique qui, dans notre société, paraît toujours un peu “compliquée”, tant pour l’hôte-invité que pour l’hôte-invitant (la langue française montre ici que nous sommes toujours l’hôte de quelqu’un). Comme si rester manger était déjà bien suffisant comme ça, marquant ainsi que les deux fonctions (manger et dormir) ne relèvent pas du même “régime d’hospitalité”.

À y regarder de plus près, l’hospitalité renvoie toujours aussi, dans nos représentations, à un ailleurs et/ou à un passé : c’est en revenant du Maroc que nous faisons l’éloge de ce “peuple hospitalier” ; c’est en pensant à nos aïeux que nous regrettons un “sens de l’hospitalité” que nous sommes censés avoir perdu. Pourtant, s’il est difficile de se la représenter, l’hospitalité, comme le fait remarquer le philosophe René Schérer dans Zeus hospitalier, est partout présente dans notre langage (hôte, hôtesse, hôtel, hôpital...). “C’est en tant que valeur et que pratique qu’elle est force invisible, statistiquement insaisissable”.

En ce sens, “Quand Jim monte à Paris” est un objet qui redonne aux situations leur dimension ordinaire : l’ami qui a trop bu pour rentrer seul chez lui, la baby-sitter qui préfère avoir son lit plutôt que de repartir tard dans la nuit, la sœur qui veut passer tout simplement quelques jours à la capitale, le petit cousin (Jim ?) qui justement veut “monter à Paris”.

Cet objet, entièrement dévolu à l’hospitalité, rend l’hospitalité possible, chez soi et aujourd’hui. C’est un “ici et maintenant” de l’hospitalité.

À hauteur d’homme, cette colonne de feutre gris contient quelque chose : par l’action d’une fermeture à glissière verticale, on parvient à dégager dans un premier temps les quatre côtés de ce qui peut devenir un paravent ou un tapis et à s’emparer dans un second temps du matelas roulé. Une fois ce dernier libéré des scratchs qui le retenaient en rouleau, on peut le poser à terre. Ça y est, le lit est fait. Et il est fait pour l’invité. Ce n’est pas compliqué.

Emmanuelle Lallement

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Crédits

  • Patrick Gries, courtesy Domeau & Pérès